À Tarfaya, Nareva et Engie ont construit en plein désert le plus grand parc éolien du continent africain, capable d'éclairer une ville de 1,5 million d'habitants. Reportage.
Tah, dans le Sahara marocain, à 30 km au sud de Tarfaya, ancienne étape de l’Aéropostale rendue célèbre par Saint-Exupéry, qui y fut chef d’escale. Cette petite ville côtière se distingue désormais par son gigantesque parc éolien. Un site construit au milieu du désert par Tarfaya Energy Company (Tarec), société de droit marocain détenue à parts égales par Nareva, filiale du holding royal Société nationale d’investissement (SNI), et le français Engie (ex-GDF Suez).
Les éoliennes géantes fabriquées au Danemark, dans les usines de Siemens, s’étendent à perte de vue au milieu de ce désert silencieux. Des tours de 80 mètres de hauteur, équipées de trois pales de 40 mètres chacune. Loin des habitations, en plein milieu du désert, ces éoliennes, les plus grandes jamais construites par Siemens, dansent au rythme du vent, sans faire le moindre bruit. Et, surtout, sans déranger la quiétude des chameaux, qui continuent d’occuper les lieux, habitués désormais à la présence de ces blancs édifices…
« Sur dix-sept kilomètres de long et six kilomètres de large, ce parc éolien est le plus grand du continent africain », explique Khadija Ezaoui, une ingénieure marocaine, originaire de Laâyoune, qui travaille pour Tarec depuis juin 2013. Comme elle, beaucoup de jeunes Marocains, ingénieurs et techniciens, travaillent sur le site. Ils étaient plus de 700 pendant les deux ans qu’ont nécessité les travaux. Depuis qu’a démarré l’exploitation, il y a moins de six mois, ils restent une cinquantaine.
Ferme
« Il s’agit du plus grand investissement privé réalisé dans la région : 5 milliards de dirhams [460 millions d’euros]. Tout le monde en a profité », signale Abdellatif El Ghali, 48 ans, directeur d’exploitation de Tarec, qui rappelle que les loyers à Tarfaya ont été multipliés par huit depuis décembre 2012, date de début des travaux.
Ce diplômé de l’école nationale supérieure d’électricité et de mécanique (Ensem) de Casablanca a entamé sa carrière à l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), avant de rejoindre le groupe espagnol Abengoa puis l’européen Schneider Electric, et Engie. Le groupe français l’a dépêché à Tarfaya pour les besoins du projet. « J’ai travaillé sur plusieurs projets énergétiques et électriques en Espagne, aux Pays-Bas, en France, en Tunisie… Cela fait quelques mois que je suis détaché ici, à Tarfaya. Et je suis fier de voir de tels projets réalisés au Maroc », explique-t-il.
Il est 10 heures. Nous enfilons chaussures de sécurité, gilet et casque. Une tenue obligatoire pour pouvoir circuler dans la ferme éolienne. Ce matin, le vent souffle à une vitesse de 4,15 mètres par seconde, selon le rapport reçu par courriel par le directeur d’exploitation. Ce n’est pas l’idéal pour faire tourner les turbines, à peine de quoi dégager une capacité de 56 MW. Mais c’est un jour exceptionnel, car, à Tarfaya, le vent ne s’arrête jamais ou presque.
« Nous recevons toutes les huit heures un rapport détaillé sur la vitesse du vent et la puissance produite. La moyenne sur l’année est de 8 mètres par seconde. C’est largement plus que la moyenne mondiale, et cela nous permet de tourner à pleine capacité toute l’année. En général, nous comptons huit mois de jours venteux », explique le directeur d’exploitation, en nous faisant visiter la ferme à bord de son 4 x 4.
Cette caractéristique naturelle a été cruciale dans le choix de l’emplacement. Au total, les 131 turbines du parc ont une capacité annuelle pleine de quelque 301,3 MW. De quoi éclairer toute l’année une ville comme Marrakech (1,5 million d’habitants). Sans charbon, ni pétrole, juste avec du vent… et à un coût très compétitif. « Le parc éolien permet d’économiser 900 000 tonnes d’émission de CO2, soit l’équivalent de la quantité de gaz à effet de serre absorbée par 150 millions d’arbres. Cela entraîne aussi une économie de pétrole importé équivalant à 200 millions de dollars (environ 180 millions d’euros) par an. Et l’électricité produite ici est acheminée par le réseau national de l’ONEE dans tout le pays », précise Khadija Ezaoui. Vers quelle destination ? « On ne sait pas si l’électricité produite ici est consommée à Laâyoune, Agadir, ou Casablanca. L’électricité n’a pas de couleur, ni d’odeur », répond-elle.
Relié au réseau de transport de l’ONEE, le parc de Tarec continuera de fournir de l’électricité pendant les vingt prochaines années à l’Office national, à un prix fixé dès le départ. Au terme de cette période, largement suffisante pour rentabiliser l’investissement de Nareva et de son partenaire Engie, l’ONEE récupérera les infrastructures. C’est ainsi que le contrat a été conçu d’emblée. Bel exemple d’un partenariat public-privé gagnant-gagnant, déjà testé avec l’émirati Taqa dans la centrale thermique au charbon de Jorf Lasfar.
Transition
Depuis que le Maroc s’est lancé dans sa transition énergétique, les projets similaires pullulent. « Sur l’éolien, on compte actuellement plus de 1 000 MW de capacité installée dans tout le royaume. Et le Maroc ambitionne d’atteindre les 2 000 MW d’ici à 2020 », explique Abdellatif El Ghali. Un objectif qui reste accessible, quand on sait que l’État travaille sur un énorme projet de cinq fermes éoliennes d’une capacité totale de 850 MW, basées à Tiskrad (près de Laâyoune), Boujdour, Tanger, Essaouira et Taza. Un projet où Nareva est encore présent, en partenariat cette fois avec l’italien Enel Green Power. « Nous avons été présélectionnés comme d’autres groupements. Nous attendons donc le résultat final de l’appel d’offres, qui doit être communiqué dans le courant de l’année », signale la direction de Nareva.
Il est 17 heures et nous devons quitter les lieux. Le vent souffle désormais à plus de 5 mètres par seconde. Ce qui promet une bonne production d’électricité pour cette nuit. Une nuit où les lumières de Tarfaya s’éteindront, mais où les turbines de Tarec ne s’arrêteront pas… « Les turbines tournent 24 heures sur 24 et les équipes de la salle de commande se relaient trois fois par jour pour surveiller le bon déroulement de l’exploitation », explique Abdellatif El Ghali
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